Vilnius, Lituanie. Juin 2022.
Il est 17h et je me balade seul dans le centre ville de Vilnius, entre les cafés et les gens qui chantent sur le trottoir. Il fait deja assez chaud à cette période de l'année, et je porte mon t-shirt de l'équipe de France de foot. Pour passer pour un local, c'est râpé.
Je marche tranquillement en regardant l'architecture atypique de cette ville, quand un homme (nous l'appellerons Jacques... il avait une tête de Jacques), assis à la terrasse d'un café, m'interpelle avec quelques mots de français. Il a la cinquantaine, en costard, une belle montre, mais un look assez décontracté. Il est assis avec 4 amis, tous me saluent cordialement comme je m'approche de leur table. Jacques est Norvégien et est venu rendre visite à ses amis Lituaniens pour quelques jours. Je lui explique rapidement que je suis étudiant et que je fais le tour de l'Europe en train. Il me demande alors dans quel domaine j'étudie. Lorsque je lui réponds "Environmental engineering and sustainability", Il me répond en rigolant "Et sinon est ce que tu étudies quelque chose de sérieux ?". Ça fait sourire ses amis, qui sont aussi gênés devant l'effet de surprise que m'a procurée cette blague un peu agressive.
J'ai envie de le taquiner un peu, ce bon vieux Jacques, et d'en savoir plus sur ce qu'il pense de l'écologie. Je mets les pieds dans le plat : je lui explique que je voyage avec 3 amis pour parler du réchauffement climatique, et des dangers de la pollution aux étudiants à travers l'Europe. J'ai visé juste. Son sourire s'efface complètement et son regard devient sombre. Il me regarde, me juge de haut en bas, puis me dit : "Alors tu dois savoir que le changement climatique recule depuis quelques années, c'est prouvé par des chercheurs !". Comme à chaque fois que j'entends ce genre de choses, je demande la source. Jacques me dit qu'il a lu ça dans une étude menée en Alabama par 2 chercheurs. Jamais entendu parler de ça, mais soit. Je lui demande alors ce qu'il pense du 6ème rapport du GIEC, dont le constat est sans appel. Il me répond qu'il a lu le rapport en entier (4000 pages de science pure et dure Jacques, t'es sûr ?), et que la conclusion est la même pour lui : le changement climatique recule, pas besoin de s'en inquiéter.
Je comprends alors que mon ami Jacques fait partie de la famille des climatosceptiques. Il entend ce qu'il veut entendre et interprète comme bon lui semble les rapports des scientifiques. J'essaie pourtant de lui expliquer, avec des chiffres, des exemples, des faits. Mais rien à faire, il m'écoute en se disant que j'ai 24 ans et que je ne sais pas de quoi je parle, devant lui et ses 50 balais. 50 ans d'expérience de la vie, c'est pas un gamin de 24 ans qui va lui expliquer qu'il faut diminuer nos émissions de CO2 quand même !! Apres 15 min a entendre que le CO2 c'est bon pour les arbres, que les éoliennes c'est moche et qu'en plantant des forêts on peut faire Paris-NY sans emettre de carbone, je dis au revoir à Jacques et ses amis, et je continue mon chemin.
Apres cette brève rencontre, deux sentiments se mélangent en moi : d'un côté j'ai envie de sourire devant la bêtise de ces gens qui croient tout connaître, jusqu'à s'enfoncer dans les théories les plus absurdes tant que ça ne remet pas en question leur mode de vie. Et d'un autre côté je déborde de rage. Je suis pas violent ni pâtissier, mais des fois je ditribuerais bien quelques tartes... En fait, des fois j'ai l'impression que le changement climatique aujourd'hui c'est un peu comme croire aux aliens : on y croit, ou on y croit pas, et au final ça change pas la face du monde. On entend quelques théories sur BFM et on passe a autre chose. Ceux qui y croient sont vu comme des gens un peu bizarres parce que c'est bien plus rationnel et confortable de ne pas y croire. Mais en fait pourquoi on en est encore à devoir expliquer que le changement climatique est bien réel ? Pourquoi on se demande encore si les efforts sont vraiment nécessaires, alors que des tonnes de rapports scientifiques prévoient le pire si rien ne change d'ici 3 ans ? Pourquoi est ce que je perds mon temps à devoir expliquer à Jacques, riche cinquantenaire qui vit bien au dessus de ses moyens écologiques, que le changement climatique est réel, alors que sur les 8 dernières années on a connu les 8 mois de juin les plus chauds jamais enregistrés sur la planète ?
Alors oui je déborde de rage ce soir là, et c'est pas évident à gérer. Il y a toute une génération qui se demande s'il faut plutôt faire des enfants pour qu'ils aient une chance de sauver le monde, ou bien ne pas en faire parce que le monde est déjà foutu. L'anxiété climatique c'est pas un truc qui arrive aux "gens qui ont peur de tout et qui réfléchissent trop". C'est un sentiment bien réel lorsque l'on ouvre les yeux sur ce qu'il se passe dans le monde aujourd'hui, et qu'on décide d'être honnête avec soi-même. On y pense tous les jours avec le sentiment que la solution n'existe pas. Et ça j'aimerais bien que mes propres parents le comprennent. Je me sens pas particulièrement anxieux, j'ai toujours été un peu trop optimiste dans la vie et je me dis qu'on arrivera à faire changer les choses, un jour, même s'il est déjà trop tard. Mais bon c'est mon cote positive attitude. Alors j'ai bon espoir ! Mais quand j'entends Jacques c'est pas de l'anxiété que je ressens. C'est de la rage. J'ai la rage. La rage climatique.
En disant au revoir à Jacques, j'ai pris soin de lui demander ce qu'il fait dans la vie. Il retrouve son sourire, bombe le torse, et me répond fièrement qu'il est propriétaire d'une grosse boîte Norvégienne dans le domaine de la "haute technologie", et ajoute "avec ça tu pourras sauver la planète". J'ai faillis lui répondre "tu comprendras quand tu seras plus grand", et puis je me suis rappelé qu'il a le double de mon âge... Alors je lui ai juste serré la main.
Merci Jacques si tu passes par là, au moins ça fait un bel article.
Matthieu
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